La Dame Rose

Récit

La Dame Rose

Derrière le geste de l’artiste se cachent une multitude d’histoires inspirantes, de personnages émouvants, de rencontres fécondes. Le millepertuis s’efforce de mettre en mots ces précieux récits pour qu’ils demeurent et se transmettent.

Dans le calme de son atelier, Laure Duquesne sculpte les visages, les silhouettes et les formes. Elle modèle avec soin l’ordinaire pour le rendre visible.
Bien souvent, ce sont les rencontres qui l’inspirent. Sa Dame Rose en est un exemple, elle qui a recueilli l’histoire de Jacqueline, une femme touchante et persévérante.

« Je suis la Dame rose. Ma créatrice m’a installée à l’Institut de cancérologie de l’Ouest, au centre Paul Papin à Angers, pour que ma couleur et mes rondeurs réconfortent ceux qui sont éprouvés par la maladie. Après m’avoir moulée et peinte dans l’intimité de son atelier, elle est venue m’asseoir dans ce lieu où ma présence apaise et soutient les personnes douloureuses et inquiètes. Confortablement assise sur mon banc près de l’entrée, j’attends la rencontre qui ne manquera pas de se produire.

Cela est bien inutile, me direz-vous ! Au contraire, je me sens ici tout à fait à ma place. Ma présence attentive et généreuse rassure, soulage, console et suscite l’amitié. Ma couleur rose n’y est pas pour rien ! Les patients viennent régulièrement s’asseoir à mes côtés – sous le regard bienveillant des dames de la cafétéria qui se laissent attendrir par ma silhouette discrète et les amitiés silencieuses qui se nouent avec les habitués des lieux. N’allez pas croire que je reste de marbre ! Sous mon enveloppe de ciment se cache un coeur et je suis facilement émue par l’amitié que m’offrent ces personnes vulnérables et vaillantes à la fois. Au fond, je les comprends, elles que la maladie pousse à ralentir. Comme elles, je ne peux ni bouger ni aller comme je veux : mon ossature de résine ne me le permet pas. Alors je les invite à être ; à habiter le moment présent en contemplant ce qui se trouve juste devant mes yeux. Je les invite à chercher la joie et la lumière là où elles se trouvent, et souvent dans les évènements les plus ordinaires. Assise, les mains délicatement posées sur mes cuisses rondes, les jambes croisées, les épaules détendues, je suis là. Tout simplement. J’apporte ma joie de vivre. J’offre généreusement ma douceur et ma rondeur à celles et ceux qui en ont besoin, là où j’ai été placée. 

Un jour, j’ai fait la connaissance de Jacqueline, une femme enjouée et déterminée, qui se rendait au centre pour y suivre ses séances de chimiothérapie. Ses soeurs, Sylvie et Céline, l’accompagnaient elles-aussi dans cette longue et éprouvante lutte contre le cancer. Jacqueline m’a immédiatement touchée par sa joie de vivre et sa force – et peut-être aussi sa maladie qui me rappelle les autres femmes qui ont mené ce combat et en l’honneur desquelles je porte cet habit rose. Nous nous sommes très vite liées d’amitié : lors de chacune de ses visites, Jacqueline se plaisait à prendre la pose à mes côtés, posant délicatement une main sur mon épaule ou me serrant affectueusement contre son coeur. Elle apportait parfois des objets, des vêtements, toutes sortes de choses et nous immortalisions ce jour gagné sur la maladie par une photo où notre complicité croissante transparaissait. Je nous revois, serrées l’une contre l’autre, arborant chacune un bonnet et une écharpe semblables, qui nous donnaient l’allure de deux soeurs jumelles. Ce fut un honneur pour moi d’accompagner cette grande dame durant sa maladie. Je crois que je lui apportais de l’espoir dans cette bataille de longue haleine. Pour me remercier, elle a même créé le « Club des Roses », pour soutenir les femmes atteintes du cancer et pour qui l’éloignement des villes est une souffrance supplémentaire. Jacqueline effectuait de longs trajets pour se rendre à ses examens et ses séances de chimiothérapie, depuis sa petite ville, située en Mayenne. Elle a ainsi décidé d’oeuvrer pour la promotion des soins de support à la campagne et le dépistage du cancer du sein. Le « Club des Roses » était né, pour veiller au bien-être des patientes isolées des grandes villes. Jacqueline m’avait choisie pour être l’effigie de cette cause : je vis petit à petit un grand nombre de personnes se rassembler autour de moi. Une foule d’idées s’est mise à germer pour remédier aux difficultés que rencontrent les femmes malades. J’admirais beaucoup Jacqueline pour sa générosité et le souci de l’autre qui l’animait alors même qu’elle luttait contre la maladie.

« Alors je les invite à être ; à habiter le moment présent en contemplant ce qui se trouve juste devant mes yeux. Je les invite à chercher la joie et la lumière là où elles se trouvent, et souvent dans les évènements les plus ordinaires ».

Lorsqu’elle est décédée à la fin du mois de janvier, je fus bouleversée par la perte d’une amie si chère. Un grand vide me saisit. Sylvie et Céline, les soeurs de Jacqueline, décidèrent alors, sans se concerter, de contacter ma créatrice : elles souhaitaient poursuivre l’oeuvre de leur soeur et demandèrent qu’une Dame rose puisse être installée dans sa ville d’origine, et accompagner les « Roses » dans toutes leurs équipées. Émue par l’histoire de cette femme lumineuse, Laure confectionna une nouvelle Dame rose. Celle-ci soutient désormais les deux soeurs et toutes les Roses qui oeuvrent à leurs côtés ; ces femmes ordinaires et extraordinaires qui se démènent, avec tout ce qu’elles sont, pour servir une cause qui leur tient à coeur. Je suis émerveillée par leur courage, cette force qui les a poussées à transformer un deuil en une magnifique histoire de vie. Assise sur mon banc, je repense volontiers à elles.

Je suis la Dame rose, et je suis bien plus qu’une sculpture : comme chacune de mes soeurs, les Dames assises, je me tiens quelque part pour susciter la rencontre et tisser des liens puissants avec les personnes qui s’approchent de moi pour m’offrir ce qu’elles sont. Ces rencontres et toutes les personnes qui gravitent autour de moi me rendent plus belle et m’encouragent à demeurer à cette place, à être sur ce banc un témoin de la fraternité et de la générosité ».

3 réflexions sur “La Dame Rose”

  1. nathalie Blavet

    Merci Laure pour cette belle histoire, au milieu de tant d’autres qui tissent un lien avec tant de personnes autour de toi !
    Tes sculptures sont à ton image : généreuses et joyeuses !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *